Mise à jour du 8 mars 2021

J’espère que vous avez autant apprécié de lire les 31 Days of May de Mike Stax que j’ai apprécié de les traduire. Ça m’a tellement plu que j’en ai oublié de signaler l’anniversaire de Defecting Grey ! Le site est né le 18 janvier 2016, il fête donc ses cinq ans en 2021. Merci à tous les gens qui sont passés dessus et ont laissé des commentaires !

Parmi eux, merci tout particulièrement à Nick Warburton du blog Garage Hangover. C’est une ressource fabuleuse pour tous les fans de rock des Sixties, et il a généreusement partagé toutes les dates de concert des Pretty Things qu’il a pu trouver. La chronologie s’en trouve d’autant améliorée.

Un autre commentateur, jerome, m’a demandé si je pourrais traduire les paroles de l’album Savage Eye. C’est fait ! Vous trouverez les traductions en français de toutes les chansons de ce disques, de Under the Volcano à Drowned Man, sur leurs pages dédiées. J’en ai aussi profité pour ajouter un peu de texte à la fiche consacrée à l’album. C’est quelque chose que j’ai également fait sur S. F. Sorrow et que, à terme, je compte faire pour tous les disques. Il est grand temps que Defecting Grey propose davantage de contenu que de simples fiches signalétiques !

Pour finir, vous avez peut-être vu passer l’information ailleurs, mais Repertoire Records a annoncé la parution prochaine d’une nouvelle compilation d’enregistrements à la BBC. Elle s’appellera Live at the BBC, ce qui risque d’être source de confusion, puisque la précédente s’appelait aussi comme ça. Avec 6 CD, elle proposera plein de nouveautés inédites, ce qui est toujours appréciable ! Une version vinyle (3 disques) reprenant les meilleurs titres est également prévue.

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 32

Voici le trente-deuxième épisode (mais oui !) et dernier de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Old Man Going. Encore merci à lui de m’avoir permis de traduire ces textes ici.

31 DAYS OF MAY : Jour 32. De toute son œuvre avec les Pretty Things, c’est de S. F. Sorrow que Phil était le plus fier. Cet album n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait à sa sortie, en 1968. Ce n’est que plusieurs décennies plus tard qu’il a fini par être reconnu comme l’un des albums fondamentaux de son époque, un chef-d’œuvre intemporel. L’avant-dernière chanson de S. F. Sorrow est l’une des plus puissantes, émotionnellement parlant, et c’est en grande partie grâce aux paroles de Phil, pleines d’un existentialisme sombre.

“Hopscotch of life will lead you to the grave
Wet faces line the street
They will not be saved
Black house you built it will soon disappear
Another corporation dig this year.”

L’intensité des paroles se reflète dans la musique tourmentée, avec sa guitare acoustique tendue, son rythme pulsant, ses harmonies pleines de cris et de soupirs et ses percées de fuzz en fusion. (Et oui, qu’on se le dise : cette intro à la guitare est sortie avant Pinball Wizard.)

Old Man Going est l’un des sommets de l’album et occupe une place de choix dans le répertoire scénique des Pretty Things tout au long de leur histoire. C’est une chanson que Phil interprétait toujours avec une intensité diabolique.

“Traffic thins as you drive slowly by
A friend wipes a flower from an eye
Streets filled with bouquets from a cloudy sky
They’ll soon forget the field in which you lie.”

En vieillissant, on peut perdre foi en l’humanité, et c’est ce dont parle la chanson. Dans le livret de l’album, Phil écrit : « Il retraça ses pensées au long des rues humides, des visages vides s’alignaient le long du trottoir. Ils ne seraient pas sauvés. » Encore une fois, Phil se retrouve seul dans les rues vides de la ville la nuit. « Son esprit fit la roue en voulant comprendre. Les usines à malheur ne firent que grandir et Chagrin ne fit que vieillir. »

On naît, on meurt, on vous oublie, fin : serait-ce le message de la chanson ? C’est peut-être ce que Phil ressentait quand il avait 23 ans. Mais en vieillissant, surtout au moment de ses soucis de santé vers la fin de sa vie, il a découvert que c’était faux. Qu’il est possible d’être sauvé. Qu’on continue à vivre dans les souvenirs et dans le cœur de celles et ceux qui vous aiment : vos amis, votre famille, les gens que vous avez touché d’une manière ou d’une autre. Avec son art, Phil a touché davantage de gens qu’il ne le pensait. Son art est éternel. Nous n’oublierons pas le pré.

Facebook, 21 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 31

Voici le trente-et-unième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Singapore Silk Torpedo.

31 DAYS OF MAY : Jour 31. Dick Taylor a passé la majeure partie des années soixante-dix à l’écart du monde de la musique. « Je n’aimais pas la mode », a-t-il expliqué récemment. Cette mode, Phil l’aimait bien : les vestes en satin chic, les chemisiers de femme, les imprimés léopard et les écharpes de soie qu’il chinait avec Electra sur les étals de Portobello Road. L’androgynie faisait partie de l’identité de Phil depuis 1964 et ce nouveau look en constituait l’évolution naturelle, une évolution qu’il embrassa totalement. Avec sa cigarette au bec et ses cheveux plus longs que jamais, il faisait moitié Cary Grant, moitié Veronica Lake. Aucune rock star des seventies n’était plus débonnaire que lui. Il m’a raconté avoir acheté deux belles paires de bottes en peau de serpent, une rouge et une verte, pour pouvoir en mettre une rouge à un pied et une verte à l’autre. La classe.

En 1974, les Pretty Things ont signé chez Swan Song, le label de Led Zeppelin, et Peter Grant est devenu leur imprésario. Cet été-là, ils ont commencé à enregistrer leur premier album pour ce label à Headley Grange, un manoir de trois étages dans le Hampshire, avec le retour de Norman Smith comme producteur. Norman est arrivé le premier jour dans une Rolls-Royce et le groupe lui a joué leur première chanson, Psychosomatic Boy. Horrifié par les paroles, qu’il croyait à tort être une moquerie à l’égard d’enfants handicapés, Norman quitta immédiatement les lieux, outragé, remonta dans sa voiture et rentra illico à Londres. Quand Peter Grant eut finalement réussi à le convaincre de revenir, quelques jours plus tard, Psychosomatic Boy était devenue Singapore Silk Torpedo.

“I’ve sailed the seven seas
A hard sea dog to please
Tattooed on my chest
Is the girl I love best.”

L’obsession de Phil pour les marins et la navigation en général remonte à l’enfance. Son père et sa mère se sont séparés quand il était bébé et il a été élevé par la demi-sœur de sa mère et son mari, Flo et Charlie May. Il n’a appris qu’ils n’étaient pas ses vrais parents qu’en 1954, à l’âge de neuf ans, lorsqu’il leur fut enlevé pour être confié à sa mère, Daphne, et son nouveau beau-père, Ron Kattner. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a commencé à apprendre des choses sur son père biologique, Dennis, qu’il avait rencontré une fois mais dont on lui avait dit qu’il était son oncle. Phil a eu une enfance compliquée. Il a donc appris que Dennis travaillait dans la marine marchande et menait une vie d’aventurier en sillonnant les sept mers.

“Back in 1954
On leave in old Singapore
I was soaking in gin
When Miss Foxy walked in.”

Phil l’admettait : « Il y a beaucoup de trucs maritimes dans mes paroles. Je suppose que c’est parce que mon père était dans la marine marchande. Je crois que c’est le genre de carrière que j’aurais pu embrasser si je n’étais pas parti dans l’art ou dans la musique, parce que ça aurait été un moyen de fuir Erith. Ça m’a toujours paru une idée séduisante, d’entrer à Shanghaï ou à Singapour avec la marée du soir, d’imaginer à quoi pourraient ressembler les ruelles de ces villes. Singapore Silk Torpedo parle clairement d’une prostituée, ou d’un prostitué, ça pourrait être un travesti. Les paroles sont pleines de sous-entendus. C’était juste une scène comme ça, un échantillon dans la vie de chauffeur sur un cargo à charbon. »

“She’s my Singapore silk torpedo
Wearing high satin non-stick lip glow
I fell a victim to this female hipno
She’s my Singapore silk torpedo.”

Au début, Phil a apprécié sa virée du milieu des seventies, de pouvoir percer sur le marché américain avec l’aide de la machinerie de Led Zeppelin. Mais en fin de compte, la direction prise par le groupe a fini par lui déplaire, tout comme sa propre perte de contrôle. « Je me sentais très mal à l’aise, a-t-il avoué par la suite. J’avais l’impression que l’esprit des Pretty Things avait disparu, que le groupe devenait plus commercial, et c’est pour ça que je suis parti. Un soir, j’ai vraiment eu l’impression que c’était la fin et j’ai quitté le groupe, j’avais l’impression qu’Atlantic et les autres voulaient nous forcer à devenir un groupe de stadium rock et ça m’était totalement étranger. »

Après avoir lâché le groupe et manqué un concert important au stade de Wembley, Phil a été viré des Pretty Things. Que les Pretty Things puissent exister sans Phil May semble absurde, mais pendant une brève période en 1976, ce fut une réalité. Pour Phil, c’était une blessure profonde qui lui a longtemps fait mal. Il y avait encore de l’amertume dans sa voix quand il m’en a parlé il y a quelques années. Il reconnaissait que les événements de 1976 étaient en partie de sa faute, mais il estimait ne pas avoir eu le choix puisque son intégrité artistique était menacée. « L’âme du groupe était en train de s’échapper de son corps collectif, comme une hémorragie. C’était une pression supplémentaire pour moi, mais pas une excuse, je le reconnais. »

Les voici avant que l’hémorragie ne commence, sur le plateau de The Old Grey Whistle Test. Dans leurs plus beaux atours des seventies, ils envoient du lourd.

Facebook, 20 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 30

Voici le trentième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Summertime.

Parue sur la même face B que Circus Mind en 1971, Summertime montre des Pretty Things d’humeur joyeuse, chose rare. C’était l’une des chansons favorites de Phil. « C’était une ode à l’été, m’a-t-il expliqué. Partir dans le Norfolk, participer aux moissons, comme Wally et moi on faisait. Autour de ce chouette riff qui descend et des harmonies à trois voix très naturelles qui fonctionnent bien, et puis évidemment le solo éblouissant de Tolson. Vraiment fabuleux. »

“Bluebirds and blackbirds are gathered in my hair
All my tomorrows
I think they have been rare
Summer’s coming through
There’s no hay upon the field
Soon I’ll be with you and we’ll know how it feels
Summertime.”

La chanson est née rapidement, comme tant d’autres grandes chansons. Wally se souvient qu’elle provient « de l’inspiration du moment, comme tant d’autres de nos faces B ». Il garde de bons souvenirs de la séance. « C’était tard dans la nuit, après minuit, le dernier des trois jours qu’on avait réservés à Abbey Road pour boucler le single. Pete et Phil avaient passé la journée sur une idée qu’ils avaient eue pendant que je travaillais sur le mixage de la face A. Je me souviens que la climatisation était en panne et qu’on était tous torse nu, on se serait crus à Muscle Shoals. Je suis retourné voir le reste du groupe pour travailler sur la chanson et j’ai tout de suite dit à Phil qu’il fallait un pont. « Quel genre ? » a demandé Phil. J’ai sorti le « Count the bluebirds in the sky » comme ça et Phil a juste dit « Bon, d’accord, c’est toi qui le feras. » Et c’est ce qu’on a fait. Il n’a même pas touché à mes paroles niaises. On était sous pression pour boucler la chanson, et il nous restait encore Circus Mind à enregistrer aussi.

“Count the bluebirds in the sky
But don’t count too soon
Count the bluebirds with your eye.”

La chanson est déjà exaltante, mais elle grimpe encore plus haut grâce à ce pont sur lequel un Peter Tolson de seulement 19 ans plane avec ses lignes de guitare. Elles ont été rajoutées plus tard dans la nuit, mais l’essentiel du reste de la chanson a été enregistré dans les conditions du direct, y compris la piste de chant de Phil et les harmonies de Jon Povey. « Pete joue la figure rythmique sur sa Strat, se souvient Wally, enregistrée depuis son ampli, mais on l’a aussi enregistré de manière isolée, avec un micro très sensible, pour avoir le son de la Strat en acoustique. » Des harmonies supplémentaires ont été rajoutées la même nuit, ainsi qu’une paire de guitares acoustiques. « Pete et moi jouons le rythme sur des acoustiques de part et d’autre de la stéréo, on faisait souvent ça. Nos styles sont différents et on interprète les mêmes choses un peu différemment. Quand on joue ensemble, l’effet stéréo est intéressant, je me souviens qu’on l’a refait ensuite sur Rip Off Train, dans Freeway Madness. On démarre en jouant la figure principale presque à l’identique, mais quand le chant démarre, on commence à se laisser aller et des choses intéressantes ont lieu ! » Il faut écouter la chanson au casque pour bénéficier au maximum de cet effet. C’est aussi l’occasion d’entendre de plus près le jeu de batterie sensationnel de Skip Alan : ses fills sont incroyables. Et comme d’habitude, la voix de Phil est parfaitement adaptée, elle est douce et mélodieuse, pleine de caractère.

“White hearts and light hearts and some that faded view
Switch with the seasons to feelings that I knew
Summer’s coming through
There’s no hay upon the fields
I’ll soon be with you
And we’ll know how it feels
Summertime…”

Le cri de joie spontané après ce dernier refrain vient de Jon Povey et exprime toute l’euphorie que ressentaient les membres du groupe ce soir-là. « C’était une ambiance géniale, raconte Wally. Norman [Smith] nous avait domptés avec ses techniques d’enregistrement millimétrées, mais là, on était seuls et libres d’être un groupe de rock. C’était une sensation fabuleuse, et l’ambiance était vraiment géniale, c’était vraiment super de juste jouer comme ça. On aurait dû le faire plus souvent ! »

Phil a passé les derniers mois de sa vie dans le Norfolk, dans cette même campagne idyllique que célèbre de manière si évocatrice Summertime. Ses cendres seront dispersées avec l’arrivée de l’été. Il sera chez lui.

Facebook, 19 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 29

Voici le vingt-neuvième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Mama, Keep Your Big Mouth Shut.

31 DAYS OF MAY : Jour 29. Je le disais hier : d’après Phil, Bo Diddley coulait dans leurs veines. « En une seule chanson, Pretty Thing, se trouvait mon futur complètement bouleversé, a-t-il écrit dans Ugly Things, et une bonne idée de nom pour notre groupe d’école d’art fraîchement formé. »

L’espace d’un instant, ils ont même envisagé de s’appeler Jerome & the Pretty Things en hommage au légendaire bras droit de Bo, son joueur de maracas fétiche, mais en fin de compte, ce furent THE PRETTY THINGS tout court. Leur premier single était propulsé par le Bo Diddley beat, et au moment d’enregistrer leur premier disque, fin 1964, quatre des douze morceaux qu’ils choisirent étaient signés Bo Diddley.

Évidemment, ils ne pouvaient pas passer à côté de Pretty Thing (avec un message adressé au maître : « We thank you, Bo, for the name… »). Leur version déchaînée de Roadrunner est devenue partie intégrante de leur répertoire, et ils ont fait de l’alanguie She’s Fine She’s Mine un morceau à l’atmosphère époustouflante. Mais aujourd’hui, j’ai envie de parler de Mama, Keep Your Big Mouth Shut, ou comme Phil s’entêtait à l’appeler, Hey Mama. Leur interprétation dégage une impression de liberté absolue, d’abandon sauvage qui oscille au bord du chaos total. Dick présente le riff principal avec une dose de trémolo, la basse tonnante de John Stax s’enroule autour, Brian Pendleton apporte la guitare rythmique essentielle, Viv dirige le rythme avec intensité, et Stax et Pendleton entonnent le titre. Phil est explosif comme jamais et introduit chaque phrase avec un cri déchirant :

“I’M IN LOVE with your little girl
And your little girl’s in love with me
I’M so happy most all the time
And that’s how we’re gonna be
Keep your big mouth shut…”

Ils ralentissent brièvement avant que le hurlement de Phil ne les précipite dans une section déjantée au tempo doublé. La guitare de Dick crache et crépite au premier plan de cette masse d’énergie sans direction avant que le thème principal ne fasse son retour, bien trop vite. Ce passage aurait dû durer dix fois plus longtemps, et c’était sans doute le cas sur scène.

La version de Bo présente un deuxième couplet, mais Phil a eu la flemme de l’apprendre (typique) et se contente donc de répéter le premier. La veille de Noël 1964, les télespectateurs qui regardaient Beat Room sur BBC 2 ont néanmoins eu droit à un changement significatif dans les paroles : « I’m in love with your little girl, and your little boy‘s in love with me! » (Cette version est disponible sur le disque Rarities du coffret Bouquets from a Cloudy Sky.)

Pour conclure, voici Bo Diddley vu par Phil. « Pour nous, Bo était un dieu. Son rythme pulsant avec ses paroles comme des mantras, ça vous clouait au sol. Ce bon vieux Chuck nous offrait des vignettes très pénétrantes sur ce que c’était d’être un Afro-Américain dans une société de consommation blanche, mais Bo était davantage en phase avec son « chamane » intérieur. Il tirait sa puissance d’une source plus subliminale et primitive, une brûlure lente et cuisante qui s’insinuait sous la peau. »

C’est cette intensité subliminale et primitive que Phil cherchait à obtenir avec les Pretty Things. Sur cette chanson, il y est arrivé.

Facebook, 18 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 28

Voici le vingt-huitième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Rosalyn.

31 DAYS OF MAY : Jour 28. Quand Jimmy Duncan, co-imprésario des Pretty Things, leur a présenté la chanson qu’il voulait qu’ils enregistrent pour leur premier single, ils n’ont pas été franchement impressionnés. C’était une chanson qu’il avait écrite lui-même et dont il avait enregistré une démo au piano aux studios Regent Sound. « Elle sonnait très Denmark Street [NdT : la rue historique des éditeurs de musique à Londres, équivalente du Tin Pan Alley new-yorkais, avec tout ce que ça connote d’un peu ringard], très écossaise, se souvient Dick Taylor. C’était une chanson bonne pour un comique écossais. On s’est vraiment dits, « Mais bordel, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ? »

Et ce qu’ils en ont fait, bordel, c’est une transformation intégrale autour d’un Bo Diddley beat accéléré, avec une boucle de basse et un peu de guitare slide pour faire bonne mesure. « C’était malin de notre part, m’a rapporté Phil par la suite, mais Diddley coulait tellement dans nos veines à l’époque que c’était tout naturel pour nous de s’en servir comme cadre pour la chanson. »

Premier single des Pretty Things, Rosalyn est sortie en mai 1964. 56 ans plus tard, sa fraîcheur et sa férocité sont toujours aussi brutales. Tous les ingrédients sont parfaits, dont, bien sûr, la voix sauvage et pleine de défiance de Phil. L’excitation et l’énergie sont maximales. D’après la légende, pour la dernière prise, Phil secouait tellement fort ses maracas que l’une d’elles s’est brisée. « Si vous écoutez bien le disque, vous devriez pouvoir l’entendre », confia Viv Prince au magazine Beat Instrumental. Après plusieurs milliers d’écoutes, tout ce que j’entends, c’est le son de mon esprit qui se brise. À mes yeux, c’est le meilleur single de rock ‘n’ roll de tous les temps. On n’a jamais fait mieux.

Il y a dix ans de cela, pendant un concert à Stoke on Trent, les Pretty Things m’ont invité à les rejoindre sur scène pour chanter Rosalyn avec Phil dans le même micro. C’était une petite surprise qu’ils me réservaient, Dick et lui. Ce souvenir m’est d’autant plus précieux maintenant que Phil nous a quittés.

Facebook, 17 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 27

Voici le vingt-septième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de My Time.

31 DAYS OF MAY : Jour 27. À la fin de 1966, les Pretty Things étaient dans un triste état. Leurs disques n’étaient pas apparus dans les charts depuis plus d’un an, autant dire une éternité à l’époque. Fontana leur mettait la pression pour qu’ils sortent un hit, et les concerts commençaient à se raréfier. En pleine crise de confiance, Phil envisagea sérieusement de tout laisser tomber pour retourner en école d’art. Plus tôt dans l’année, il rendit visite à John Sturgess, l’enseignant qui avait été son mentor à la Sidcup Art School et qui était devenu directeur d’un département à la Central School of Art and Design. « Je lui ai dit que j’en avais ma claque et que je voulais peindre », se souvenait Phil. Au terme d’une longue conversation à cœur ouvert, Sturgess parvint à le convaincre de continuer. Il lui indiqua qu’il pourrait reprendre ses études d’art à tout moment, mais que son développement artistique bénéficierait davantage de l’expérience accumulée dans le monde de la musique. « Je ne vois vraiment pas pourquoi vous voudriez passer les trois prochaines années à Southampton Row alors que vous pourriez faire le tour du monde avec un carnet à dessin », lui dit Sturgess.

Convaincu, Phil se remit au boulot, mais une voie semée d’embûches l’attendait. Le guitariste rythmique Brian Pendleton était parti sans prévenir, sans être remplacé, et le bassiste John Stax était sur le point de mettre les voiles lui aussi. Le groupe tenait à peine debout au moment d’entamer son troisième album, Emotions. Leur nouveau producteur, Steve Rowland, les poussa dans une direction plus pop et commerciale. Cette nouvelle approche ne plaisait pas du tout à Phil, mais il fit de son mieux malgré tout. Son désenchantement est palpable sur My Time, l’un des premiers morceaux enregistrés pour l’album. Les paroles, quasiment en courant-de-pensée, tentent de résoudre un paradoxe émotionnel. Voici une pop star de 22 ans au cœur du Swinging London. Le succès et le bonheur sont à portée. Alors pourquoi est-ce qu’il se sent comme de la merde ?

“If it’s my time, why am I sad?
If it’s my time, why aren’t I glad?
Should the grass grow all under my feet
If it’s my time?”

Phil et Dick sont apparemment les seuls Pretty Things présents sur la piste de base. Des musiciens de studio (parmi lesquels des membres de The Herd) les accompagnent, une autre source de déplaisir pour Phil. Wally Waller et Jon Povey n’ont rejoint le groupe qu’après l’enregistrement de cette piste de base, mais ils parviennent tout de même à embellir la chanson de leurs harmonies vocales en « ouh-ouh » à la Beach Boys. Mais c’est la ligne de guitare vibrante de Dick qui conduit la chanson. « C’était une sorte de riff à la Wish You Would ou Diddley Daddy, mais jouée poliment, raconte Dick. Pas de couper-coller, bien sûr, juste un riff incessant. » Les cuivres cancannent bien trop fort à cause du mixage, et la harpe est un ajout un peu incongru, mais qui fonctionne. Le chant de Phil, enregistré dans l’atmosphère fantomatique de la chambre réverbérante de Stanhope Place, est stupéfiant. Sur cet album, il franchit clairement un palier en tant que chanteur.

Sur My Time, il documente en temps réel sa désillusion.

“If I loved you, would I be so cool?
Would I stand there
Lookin’ at you this way?
If I needed one ray of sunshine now
If it’s my time.”

L’espoir arrive avec ce rayon de soleil. Peut-être qu’il s’en sortira avec un peu d’aide. La chanson se calme brièvement, puis commence à monter en puissance.

“If I took you
Took you for my own
Would you help me?
Help me reach the top?
Can we climb now?
Keep on going up
And make it our time
Make it our time…
Give me help…”

Il se met à improviser ensuite, comme lui seul savait le faire, avec des variations toujours différentes sur les paroles ou sur la mélodie, en mettant l’accent sur une autre syllabe. La température monte, il laisse libre cours à sa passion pour l’art.

“You gotta help me now…
You gotta make it our time
You got it make it my…”

My Time est la dernière piste de Emotions, et elle est également sortie en face B du single Children dans un mixage mono différent. Pour les fans des Pretty Things, elle a acquis une sorte de statut d’outsider. Dick Taylor aussi l’aime beaucoup. Phil, pas du tout. Je lui ai dit plusieurs fois à quel point sa performance était stupéfiante, mais ce compliment ne lui faisait ni chaud ni froid. Pour lui, cette chanson était un compromis artistique qui ne méritait aucun commentaire de sa part. S’il l’avait pu, il aurait arraché cette page de son carnet à dessin pour la jeter à la poubelle.

Facebook, 16 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 26

Voici le vingt-sixième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle d’Alexander.

31 DAYS OF MAY : Jour 26. Phil May avait sans doute à l’esprit Alexandra May, sa petite amie actrice, quand il a écrit les paroles d’Alexander, mais l’inspiration principale de la chanson est le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell. Phil était obsédé par les quatre romans qui constituent cette tétralogie (Justine, Balthazar, Mountolive et Clea) et leurs personnages et décors ont servi de source à ses paroles. Les événements du Quatuor de Durrell prennent place juste avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le port égyptien d’Alexandrie.

“Eastern shores they seem to full of promise
Minarets they lacerate the skyline
On pulsing seas we drift into the harbor
Gulls they dive with screams of Alexander.”

Le premier couplet, descriptif et poétique, emprunte aux pages de Durrell ses métaphores, avant que le refrain n’adopte un ton plus direct et personnel, impératif même :

“You loving me… love the fire god!”

Phil est passé d’Alexandrie à Alexandra. « La musique n’est que de l’amour en quête de mots », écrivait Durrell en 1945 dans son poème « Conon à Alexandrie », et c’est ce que Phil nous offre avec cette chanson. Et quelle musique ! La batterie cliquante de Twink introduit un rythme irrésistible fondé sur les riffs entrelacés de basse et de guitare autour desquels Jon Povey ajoute des lignes de claviers qui flottent comme des fantômes dans les espaces laissés vierges, s’unissant de temps à autres à la guitare fuzz de Dick Taylor. C’est une chanson pleine de force et d’énergie, mais aussi pleine de réflexion et d’étrangeté. Du rock ‘n’ roll avec la tête pleine de Durrell et le cœur plein de flammes. Le deuxième couplet cite deux des personnages principaux du Quatuor, Balthazar et David Mountolive. Son langage poétique rend hommage au style de Durrell.

“Balthazar consults his book of numbers
Buildings jangle with the children’s laughter
Mountolive gathers eyes on distant beaches
A woman’s face dissolves, I hear her screeches.”

L’une des raisons pour lesquelles Phil aimait autant le Quatuor d’Alexandrie, c’est qu’il connaissait bien le paysage nord-africain et méditerranéen que décrivent ces livres. Je ne crois pas qu’il soit allé à Alexandrie, mais il a visité le Maroc (il s’est rendu à Tanger dès 1965, un an avant que les Stones n’y mettent les pieds) et les îles grecques où le narrateur de Durrell commence son récit.

Alexander aurait peut-être dû avoir quatre couplets pour correspondre parfaitement au Quatuor, mais elle s’arrête à trois. Après tout, c’est une chanson de rock. Le dernier couplet ressemble à un chapitre final (pour Phil, pas pour Durrell) : il présente des dénouements tout en laissant le récit général ouvert.

“Poet dies stabbed with the knife of words
Young girl marries with bouquet of letters
One life explodes and slides into the sea
The city lies there hid beneath the curses.”

Alexander est peut-être l’une des meilleures chansons des Pretty Things. C’est à peine croyable qu’elle ne soit parue sur aucun de leurs disques à l’époque. Ils l’ont jouée dans un nanar idiot, et puis ils l’ont laissée prendre la poussière dans un catalogue musical sous le nom d’Electric Banana. Mais c’était la routine pour les Pretty Things en 1968. Ils avaient presque fini S. F. Sorrow. Ils avaient les bras chargés de trésors, alors ils ne faisaient pas vraiment attention quand ils faisaient tomber un ou deux diamants derrière eux.

Facebook, 15 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 25

Voici le vingt-cinquième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de The Sun.

Phil May et Wally Waller ont grandi dans la même rue d’Erith, dans le Kent. Ils se sont liés d’amitié à l’âge de quatre ou cinq ans, une amitié brisée lorsque Phil a été enlevé à Flo et Charlie (le couple qui l’avait éduqué et qu’il croyait être ses vrais parents) pour être confié à sa mère biologique et son beau-père, qui vivaient à Sidcup. Il avait neuf ou dix ans. À partir de là, Phil et Wally ont vu leurs destins diverger, le second abandonnant son apprentissage d’électricien pour rejoindre les Fenmen (à l’origine Bern Elliott & the Fenmen), le premier entrant à la Sidcup Art School et fondant les Pretty Things. Leurs chemins ont continué à se croiser, pourtant, souvent sur Chipstead Road, là où Phil était revenu vivre avec Flo et Charlie au milieu des années soixante. Un jour, au début de l’année 1967, Phil invita Wally à venir chez lui avec sa guitare. Cet après-midi-là, les deux amis ont écrit trois chansons ensemble. The Sun était la première. Avant de repartir ce soir-là, Wally avait accepté de rejoindre les Pretty Things et de convaincre son camarade Fenman Jon Povey de l’imiter.

“The sun
The sun will cross the sky
Cross the sky
You reach out
You reach out
But it’s too high…
Will you settle for that water touched by land?”

The Sun, qui a paru sur l’album Emotions, reste l’une des plus belles chansons du catalogue des Pretty Things, et l’une des plus évocatrices. Phil l’interprète de manière magistrale. Il caresse la mélodie avec à la fois la légèreté d’une plume et le poids des émotions.

“When the sun has passed you by
Passed you by
In the dark
In the darkness
You will cry…
And your tears will be soaked up by the sun.”

Il s’agit d’une chanson d’amour, bien entendu. « Il avait à l’époque une relation à longue distance avec une actrice américaine qui s’appellait Alexandra Hay, se souvient Wally. Elle était aux dernières places du star system hollywoodien, et elle avait signé chez un gros studio d’Hollywood. Phil l’appelait toujours « Sandy ». J’ai toujours eu l’impression que cette chanson lui était dédiée, même si je ne lui en ai jamais parlé ouvertement. » Ce surnom de « Sandy » et sa résidence en Californie ont sans doute inspiré le thème du soleil : il suffirait de remplacer « the sun » par « Sandy » au début de chaque couplet pour obtenir presque une chanson des Beach Boys.

“It’s been my fault
Yes, mine from the start
If I told you
I’ve never fallen so hard
So hard
Yes
It’s been my fault.”

Alors que Phil et Wally écrivaient The Sun, Alexandra décrochait son premier rôle crédité à la télévision dans un épisode des Monkees. Plus tard la même année, elle a joué dans deux films, Devine qui vient dîner… (avec Sidney Poitier et Spencer Tracy) et Matt Helm traqué (avec Dean Martin). Phil parle d’elle avec beaucoup de tendresse dans l’entretien qu’il m’a accordé pour le n° 37 de Ugly Things, et même s’il n’est pas certain que The Sun ait été écrite pour elle, Wally « sentait que c’était quelque chose de très personnel pour Phil, qui parlait de quelqu’un dont il était très proche ». L’histoire d’amour entre Phil et Alexandra n’a pas duré, mais ils sont restés amis et la mort d’Alexandra, en 1993, l’a beaucoup choqué. « Elle était superbe, fantastique, tout le monde l’adorait. » Ses cendres ont été répandues au large de la côte de Marina del Rey, « dans cette eau que touche la terre ».

“The sun has passed you by
In the dark
And your tears will be soaked up by the sand
Soaked up by the sand
Touching on the land
Soaked up by the sand.”

Je crois que Phil n’a jamais eu conscience du caractère extraordinaire de The Sun. À ses yeux, Emotions était un compromis artistique, une étape en direction de la liberté créatrice absolue dont il disposait sur S. F. Sorrow et Parachute. Au fil des années, j’ai souvent tenté de le convaincre de la qualité des chansons de Emotions, mais il est resté inébranlable. Ce n’est que vers la fin qu’il a fini par admettre que oui, il y avait peut-être une poignée de chansons sur ce disque qu’il appréciait. Je crois qu’il y en avait trois, et The Sun était la première d’entre elles.

Facebook, 14 juin 2020

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Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 24

Voici le vingt-quatrième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de I Can Never Say.

31 DAYS OF MAY : Jour 23. I Can Never Say est la face B du troisième single des Pretty Things, Honey I Need, sorti en février 1965. Dick Taylor venait de s’acheter une guitare acoustique à douze cordes Gibson et le son riche et résonnant de ce instrument joue un rôle majeur dans la composition des deux faces du 45 tours. Ses gratouillages folkeux vifs se marient bien avec le jeu de batterie enlevé et propulsif de Viv Prince sur I Can Never Say. De son côté, Phil s’amuse à étirer la ligne mélodique dans tous les sens avec l’aide des roulements de caisse claire de Viv.

“I can never say
Thoughts which always occupy my mind
When the time is right
Words are things that I can never find.”

Phil apporte également une dose goûtue d’harmonica avec de longues notes solitaires à la Dylan. Ils n’ont pas passé beaucoup de temps sur cette chanson et ça s’entend : écrite et enregistrée sans trop y réfléchir, sans trop en débattre. L’étincelle a surgi, ça leur a plu, une ou deux prises et basta.

Facebook, 13 juin 2020

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