Voici le vingt-septième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de My Time.
31 DAYS OF MAY : Jour 27. À la fin de 1966, les Pretty Things étaient dans un triste état. Leurs disques n’étaient pas apparus dans les charts depuis plus d’un an, autant dire une éternité à l’époque. Fontana leur mettait la pression pour qu’ils sortent un hit, et les concerts commençaient à se raréfier. En pleine crise de confiance, Phil envisagea sérieusement de tout laisser tomber pour retourner en école d’art. Plus tôt dans l’année, il rendit visite à John Sturgess, l’enseignant qui avait été son mentor à la Sidcup Art School et qui était devenu directeur d’un département à la Central School of Art and Design. « Je lui ai dit que j’en avais ma claque et que je voulais peindre », se souvenait Phil. Au terme d’une longue conversation à cœur ouvert, Sturgess parvint à le convaincre de continuer. Il lui indiqua qu’il pourrait reprendre ses études d’art à tout moment, mais que son développement artistique bénéficierait davantage de l’expérience accumulée dans le monde de la musique. « Je ne vois vraiment pas pourquoi vous voudriez passer les trois prochaines années à Southampton Row alors que vous pourriez faire le tour du monde avec un carnet à dessin », lui dit Sturgess.
Convaincu, Phil se remit au boulot, mais une voie semée d’embûches l’attendait. Le guitariste rythmique Brian Pendleton était parti sans prévenir, sans être remplacé, et le bassiste John Stax était sur le point de mettre les voiles lui aussi. Le groupe tenait à peine debout au moment d’entamer son troisième album, Emotions. Leur nouveau producteur, Steve Rowland, les poussa dans une direction plus pop et commerciale. Cette nouvelle approche ne plaisait pas du tout à Phil, mais il fit de son mieux malgré tout. Son désenchantement est palpable sur My Time, l’un des premiers morceaux enregistrés pour l’album. Les paroles, quasiment en courant-de-pensée, tentent de résoudre un paradoxe émotionnel. Voici une pop star de 22 ans au cœur du Swinging London. Le succès et le bonheur sont à portée. Alors pourquoi est-ce qu’il se sent comme de la merde ?
“If it’s my time, why am I sad?
If it’s my time, why aren’t I glad?
Should the grass grow all under my feet
If it’s my time?”Phil et Dick sont apparemment les seuls Pretty Things présents sur la piste de base. Des musiciens de studio (parmi lesquels des membres de The Herd) les accompagnent, une autre source de déplaisir pour Phil. Wally Waller et Jon Povey n’ont rejoint le groupe qu’après l’enregistrement de cette piste de base, mais ils parviennent tout de même à embellir la chanson de leurs harmonies vocales en « ouh-ouh » à la Beach Boys. Mais c’est la ligne de guitare vibrante de Dick qui conduit la chanson. « C’était une sorte de riff à la Wish You Would ou Diddley Daddy, mais jouée poliment, raconte Dick. Pas de couper-coller, bien sûr, juste un riff incessant. » Les cuivres cancannent bien trop fort à cause du mixage, et la harpe est un ajout un peu incongru, mais qui fonctionne. Le chant de Phil, enregistré dans l’atmosphère fantomatique de la chambre réverbérante de Stanhope Place, est stupéfiant. Sur cet album, il franchit clairement un palier en tant que chanteur.
Sur My Time, il documente en temps réel sa désillusion.
“If I loved you, would I be so cool?
Would I stand there
Lookin’ at you this way?
If I needed one ray of sunshine now
If it’s my time.”L’espoir arrive avec ce rayon de soleil. Peut-être qu’il s’en sortira avec un peu d’aide. La chanson se calme brièvement, puis commence à monter en puissance.
“If I took you
Took you for my own
Would you help me?
Help me reach the top?
Can we climb now?
Keep on going up
And make it our time
Make it our time…
Give me help…”Il se met à improviser ensuite, comme lui seul savait le faire, avec des variations toujours différentes sur les paroles ou sur la mélodie, en mettant l’accent sur une autre syllabe. La température monte, il laisse libre cours à sa passion pour l’art.
“You gotta help me now…
You gotta make it our time
You got it make it my…”My Time est la dernière piste de Emotions, et elle est également sortie en face B du single Children dans un mixage mono différent. Pour les fans des Pretty Things, elle a acquis une sorte de statut d’outsider. Dick Taylor aussi l’aime beaucoup. Phil, pas du tout. Je lui ai dit plusieurs fois à quel point sa performance était stupéfiante, mais ce compliment ne lui faisait ni chaud ni froid. Pour lui, cette chanson était un compromis artistique qui ne méritait aucun commentaire de sa part. S’il l’avait pu, il aurait arraché cette page de son carnet à dessin pour la jeter à la poubelle.
Facebook, 16 juin 2020