31 DAYS OF MAY : Jour 31. Dick Taylor a passé la majeure partie des années soixante-dix à l’écart du monde de la musique. « Je n’aimais pas la mode », a-t-il expliqué récemment. Cette mode, Phil l’aimait bien : les vestes en satin chic, les chemisiers de femme, les imprimés léopard et les écharpes de soie qu’il chinait avec Electra sur les étals de Portobello Road. L’androgynie faisait partie de l’identité de Phil depuis 1964 et ce nouveau look en constituait l’évolution naturelle, une évolution qu’il embrassa totalement. Avec sa cigarette au bec et ses cheveux plus longs que jamais, il faisait moitié Cary Grant, moitié Veronica Lake. Aucune rock star des seventies n’était plus débonnaire que lui. Il m’a raconté avoir acheté deux belles paires de bottes en peau de serpent, une rouge et une verte, pour pouvoir en mettre une rouge à un pied et une verte à l’autre. La classe.
En 1974, les Pretty Things ont signé chez Swan Song, le label de Led Zeppelin, et Peter Grant est devenu leur imprésario. Cet été-là, ils ont commencé à enregistrer leur premier album pour ce label à Headley Grange, un manoir de trois étages dans le Hampshire, avec le retour de Norman Smith comme producteur. Norman est arrivé le premier jour dans une Rolls-Royce et le groupe lui a joué leur première chanson, Psychosomatic Boy. Horrifié par les paroles, qu’il croyait à tort être une moquerie à l’égard d’enfants handicapés, Norman quitta immédiatement les lieux, outragé, remonta dans sa voiture et rentra illico à Londres. Quand Peter Grant eut finalement réussi à le convaincre de revenir, quelques jours plus tard, Psychosomatic Boy était devenue Singapore Silk Torpedo.
“I’ve sailed the seven seas
A hard sea dog to please
Tattooed on my chest
Is the girl I love best.”
L’obsession de Phil pour les marins et la navigation en général remonte à l’enfance. Son père et sa mère se sont séparés quand il était bébé et il a été élevé par la demi-sœur de sa mère et son mari, Flo et Charlie May. Il n’a appris qu’ils n’étaient pas ses vrais parents qu’en 1954, à l’âge de neuf ans, lorsqu’il leur fut enlevé pour être confié à sa mère, Daphne, et son nouveau beau-père, Ron Kattner. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a commencé à apprendre des choses sur son père biologique, Dennis, qu’il avait rencontré une fois mais dont on lui avait dit qu’il était son oncle. Phil a eu une enfance compliquée. Il a donc appris que Dennis travaillait dans la marine marchande et menait une vie d’aventurier en sillonnant les sept mers.
“Back in 1954
On leave in old Singapore
I was soaking in gin
When Miss Foxy walked in.”
Phil l’admettait : « Il y a beaucoup de trucs maritimes dans mes paroles. Je suppose que c’est parce que mon père était dans la marine marchande. Je crois que c’est le genre de carrière que j’aurais pu embrasser si je n’étais pas parti dans l’art ou dans la musique, parce que ça aurait été un moyen de fuir Erith. Ça m’a toujours paru une idée séduisante, d’entrer à Shanghaï ou à Singapour avec la marée du soir, d’imaginer à quoi pourraient ressembler les ruelles de ces villes. Singapore Silk Torpedo parle clairement d’une prostituée, ou d’un prostitué, ça pourrait être un travesti. Les paroles sont pleines de sous-entendus. C’était juste une scène comme ça, un échantillon dans la vie de chauffeur sur un cargo à charbon. »
“She’s my Singapore silk torpedo
Wearing high satin non-stick lip glow
I fell a victim to this female hipno
She’s my Singapore silk torpedo.”
Au début, Phil a apprécié sa virée du milieu des seventies, de pouvoir percer sur le marché américain avec l’aide de la machinerie de Led Zeppelin. Mais en fin de compte, la direction prise par le groupe a fini par lui déplaire, tout comme sa propre perte de contrôle. « Je me sentais très mal à l’aise, a-t-il avoué par la suite. J’avais l’impression que l’esprit des Pretty Things avait disparu, que le groupe devenait plus commercial, et c’est pour ça que je suis parti. Un soir, j’ai vraiment eu l’impression que c’était la fin et j’ai quitté le groupe, j’avais l’impression qu’Atlantic et les autres voulaient nous forcer à devenir un groupe de stadium rock et ça m’était totalement étranger. »
Après avoir lâché le groupe et manqué un concert important au stade de Wembley, Phil a été viré des Pretty Things. Que les Pretty Things puissent exister sans Phil May semble absurde, mais pendant une brève période en 1976, ce fut une réalité. Pour Phil, c’était une blessure profonde qui lui a longtemps fait mal. Il y avait encore de l’amertume dans sa voix quand il m’en a parlé il y a quelques années. Il reconnaissait que les événements de 1976 étaient en partie de sa faute, mais il estimait ne pas avoir eu le choix puisque son intégrité artistique était menacée. « L’âme du groupe était en train de s’échapper de son corps collectif, comme une hémorragie. C’était une pression supplémentaire pour moi, mais pas une excuse, je le reconnais. »
Les voici avant que l’hémorragie ne commence, sur le plateau de The Old Grey Whistle Test. Dans leurs plus beaux atours des seventies, ils envoient du lourd.
Facebook, 20 juin 2020