Privés de contrat, d’engagements et de bassiste, les Pretty Things semblent enterrés pour de bon. Leur salut vient d’une direction inattendue. Comme il faut bien manger, Skip Alan a trouvé du boulot auprès d’un autre groupe, Sunshine. Un jour, il fait écouter Parachute à leur imprésario, Bill Shepherd, qui est sidéré que les auteurs d’un tel chef-d’œuvre se soient séparés. Ni une ni deux, il entre en contact avec Phil May et le convainc de ressusciter les Pretties. Wally Waller est le seul à décliner l’invitation, préférant la sûreté de son job chez EMI. Il est remplacé par Stuart Brooks (ex-Black Cat Bones).
Imprésario affûté, Shepherd parvient à faire signer le groupe chez Warner fin 1971. Leur situation financière est meilleure que jamais : ils peuvent enfin se payer leurs propres amplis et de nouveaux claviers, au lieu de devoir les louer systématiquement à d’autres artistes. Avec leur nouveau bassiste, les Pretties se rôdent sur scène au pays, avec en tête une idée fixe : l’Amérique. L’album qu’ils enregistrent l’année suivante, Freeway Madness, reflète bien cette préoccupation. Presque entièrement coécrit par Phil May et Peter Tolson, il offre un son très lisse, qui rappelle à l’occasion le soft rock californien qui fait fureur à l’époque. Trahison ? En tout cas, les ventes ne suivent pas, même si la critique semble plutôt apprécier.
Malgré cet accueil tiède, Freeway Madness permet aux Pretty Things d’enfin poser le pied sur le sol américain pour une tournée de petites salles qui marque l’arrivée d’un sixième membre : Gordon Edwards. Avec ses lunettes rondes et ses cheveux frisés, il ne paie pas de mine, mais c’est un musicien accompli, qui joue aussi bien de la guitare que des claviers et peut également pousser la chansonnette. C’est un ex-Sunshine, le groupe qui a indirectement permis la renaissance des Pretty Things courant 1971.
1973 arrive et l’histoire semble bégayer : un album qui ne se vend pas, un label peu motivé pour le promouvoir (ceci expliquant cela), et un bassiste qui s’en va. Pourtant, tout n’est pas si noir, puisque des propositions viennent de tous les côtés. David Bowie, qui vient d’enregistrer Rosalyn et Don’t Bring Me Down sur son album de reprises Pin Ups, offre de produire le prochain disque des Pretties. C’est néanmoins une autre offre qui retient l’attention du groupe : Jimmy Page et Robert Plant veulent les signer sur leur tout jeune label, Swan Song Records. Certes, Bowie, c’est Bowie, mais comparé à Led Zeppelin, il ne pèse pas lourd. Surtout aux États-Unis, le premier marché mondial, où Ziggy Stardust reste encore peu connu alors que le groupe de Page et Plant y a d’ores et déjà acquis un statut de légende.
Début 1974, les Pretty Things sont ainsi le second artiste à rejoindre l’écurie Swan Song après Bad Company ; ils sont suivis par Maggie Bell et Dave Edmunds, pour ne citer que les plus connus. Ils entament l’enregistrement d’un nouvel album à Headley Grange, dans le Hampshire, le studio campagnard de prédilection de Led Zeppelin. Le groupe se retrouve coincé entre deux mastodontes. D’un côté, l’imposant Peter Grant, leur nouveau manager, célèbre pour ses méthodes musclées. De l’autre, une vieille connaissance, Norman Smith, qui endosse à nouveau son manteau de producteur pour eux, mais avec bien moins de bonne volonté qu’à l’époque de S. F. Sorrow et Parachute. Les sessions sont houleuses, mais le résultat est là : Silk Torpedo, lancé en fanfare fin 1974, devient le premier album des Pretty Things à entrer dans le classement établi par le magazine américain Billboard. Une 104e place n’est certes pas de quoi pavoiser, mais le futur s’annonce prometteur. Durant les sessions, un nouveau bassiste est recruté en la personne de Jack Green, ancien camarade d’Edwards au sein de Sunshine.
1975 débute sans surprise par une nouvelle tournée américaine ; en fait, les Pretty Things passeront la majeure partie de l’année sur les routes au pays de l’oncle Sam. L’alcool et la drogue coulent à flots, mais l’ambiance est tendue. Lorsque les six hommes retournent en studio, à la fin de l’année, les lignes de front sont dessinées. Phil May est de plus en plus isolé face au tandem Edwards/Green, qui pousse la musique des Pretties dans une direction toujours plus lisse et commerciale. Savage Eye, qui sort au mois de décembre, témoigne de cette situation de crise. Malgré de bonnes critiques, les ventes restent tout juste honnêtes, et le marché américain se refuse obstinément au sextuor. Même Tonight, un 45 tours écrit par Edwards dans le seul but d’être un hit, est un four complet.
La force d’inertie permet aux Pretties de poursuivre encore quelques mois, mais ce n’est qu’un sursis. Une tournée en première partie des Kinks en janvier-février 1976 s’avère particulièrement pénible, Ray Davies faisant bien comprendre à Phil May que ce n’est pas lui qui donne les ordres. Épuisé et déprimé, May finit par se faire virer de son propre groupe à la mi-1976, dans des circonstances qui varient selon la personne qui vous en fait le récit. Les autres tentent de continuer, d’abord sous le nom de Pretty Things (sacrilège !), puis sous celui de Metropolis, avant de s’égailler, Swan Song n’étant guère décidé à s’embarrasser d’un tel poids mort plus longtemps. Cette fois-ci, le glas semble avoir sonné pour de bon.