Phil May : 31 jours, 31 chansons, épisode 19

Voici le dix-neuvième épisode de la série 31 Days of May de Mike Stax, qui parle de Defecting Grey.

31 DAYS OF MAY : Jour 19. En septembre 1967, les Pretty Things ont signé un contrat avec EMI Records. Leur premier single pour ce label était un morceau expérimental audacieux qui marquait le début d’une toute nouvelle direction pour eux. J’ai déjà évoqué l’influence des écoles d’art sur l’approche musicale de Phil et Dick, même à l’époque où ils jouaient du R&B. Sur Defecting Grey, ils laissent libre cours à leurs penchants artistiques avec l’aide des nouveaux venus Wally Waller et Jon Povey, qui enrichissent la palette des Pretty Things avec leurs harmonies vocales, leurs claviers et leurs idées d’écriture. Defecting Grey a été écrite par May, Taylor et Waller.

Phil a toujours décrit Defecting Grey comme une maquette de S. F. Sorrow, ce qu’une maquette serait pour un sculpteur ou une esquisse pour un peintre. C’est un collage musical stupéfiant qui condense plusieurs thèmes musicaux et lyriques en l’espace d’une poignée de minutes. « On a essayé les fondus enchaînés, les tempos alternés et les mesures rythmiques, et il y a quatre fils narratifs qui s’entrecroisent tout au long de la chanson, explique Phil. On a poussé à bout l’équipement primitif du studio et la compréhension limitée qu’on en avait. » L’objectif des Pretty Things n’était pas d’avoir un single à succès. Rien à voir avec Hello Goodbye, We Love You ou Sunny Afternoon. Defecting Grey, c’est plutôt un triptyque de Francis Bacon. Sous acide.

Grey skies, Grey and Sorrow there to meet her… La couleur grise revient fréquemment dans les paroles écrites par Phil dans les années soixante. Les « Gris », ce sont les gens normaux, ceux qui vivent dans le monde normal, qui font les trois huit. Il ne les méprisait pas, au contraire, il les trouvait fascinants, attirants même parfois. Defecting Grey, c’est l’histoire d’une rencontre avec un Gris, sur un banc public, un flirt hésitant, des avances sexuelles.

“Sitting alone on a bench with you
Mirrored above in the sky
Wondering if you will say good night
Leave me a grave of goodbye.”

Deux personnes seules de part et d’autre d’un miroir. Le Gris veut franchir la frontière de l’autre monde, faire défection vers le monde de la libre expression, des couleurs vives, de l’art et de la musique et du rire et du sexe : le monde de Phil. Mais il ne sait pas s’il a le courage de laisser sa vie grise derrière lui. Alors leur conversation fluctue, elle est indécise, hésitante (“I find that you just don’t like snakes…”), elle alterne entre leurs points de vue au fil des différentes sections musicales de la chanson, un véritable kaléidoscope de manèges, de bandes passées à l’envers, de sitars, de guitare fuzz et wah-wah, d’harmonies vocales angéliques et de chants de marins bourrés. (Le passage qui commence avec “Blight star hangs in blackness” est si puissant que The Stereo Shoestring, un groupe du Texas, l’a repris tel quel pour construire une chanson entière autour, On the Road South.)

“Sitting alone on a bench with you
Just as you get up to leave
Holding my breath as I touch your hand
Left with the brush of your sleeve.”

En fin de compte, le Gris choisit de ne pas faire défection. Il disparaît dans la nuit et Phil reste seul sur son banc, reflété dans le ciel. La personne la plus seule au monde.

Facebook, 8 juin 2020

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