Grâce à leur premier imprésario, Bryan Morrison, les Pretty Things ne tardent pas à se faire un nom dans le circuit des écoles d’art londoniennes avant de commencer à jouer dans plusieurs clubs de la capitale, au premier rang desquels le 100 Club, sur Oxford Street, où ils se produisent tous les mardis et tous les jeudis à partir du début de l’année 1964. Une autre rencontre de hasard, celle de l’auteur-compositeur-homme à tout faire Jimmy Duncan, donne naissance au partenariat Morrison-Duncan, ange tutélaire au groupe dans ses premières années.
C’est à ce moment-là, vers le mois de mars, que les Pretties entrent pour la première fois en studio pour enregistrer une démo (hélas perdue) qui convainc la maison de disques Fontana Records de leur faire signer un contrat. Cette professionnalisation a un prix : Dick Taylor et Phil May abandonnent pour de bon leurs études d’art, tandis que Viv Andrews, jugé trop peu compétent, est remercié. Il est remplacé derrière les fûts par un autre Viv : Vivian « St. John » Prince. Bien qu’il n’ait que quelques années de plus que les autres, Prince a déjà un sacré bagage derrière lui. Il a joué dans plusieurs combos de jazz, ainsi qu’avec le groupe de rock Carter-Lewis & the Southerners, où il a brièvement côtoyé un jeune Jimmy Page.
Le premier 45 tours des Pretty Things sort en mai 1964. C’est une chanson de Jimmy Duncan, Rosalyn, radicalement retravaillée par le groupe, avec une reprise énervée du Big Boss Man de Jimmy Reed en face B. Au-delà de la musique, c’est évidemment l’image des Pretties qui fait jaser. Avec leurs cheveux longs, leur attitude de loubards grincheux et leurs habits excentriques, ils passent encore moins inaperçus que les Stones, et ce n’est pas peu dire. Un passage dans l’émission télévisée Ready, Steady, Go! alimente encore davantage cette notoriété naissante. Le bon côté, c’est que ça leur permet de jouer dans de plus grandes salles, devant un public toujours plus nombreux. Le mauvais côté, c’est que ça dégénère souvent : dans le meilleur des cas, on leur refuse simplement l’entrée d’un bar ou d’un hôtel ; dans le pire des cas, ça finit en pugilat, au poste de police ou à l’hôpital.
Le mois d’octobre voit la parution du deuxième single des Pretty Things, Don’t Bring Me Down. C’est le hit que tout le monde attendait : il parvient à se hisser dans le Top 10 des ventes, un bon augure alors que le groupe entre en studio pour enregistrer son premier album. Principalement composé de reprises, The Pretty Things sort en mars 1965 et rencontre un succès honnête au Royaume-Uni, mais aussi aux États-Unis où plus d’un groupe de garage y puisera son inspiration. L’oncle Sam se montre en revanche peu réceptif aux singles du groupe et censure même Don’t Bring Me Down pour ses paroles osées. Qu’à cela ne tienne : si les Pretties la jouent fine, il suffira d’une tournée sur le sol américain, dans la foulée des Beatles, des Animals et autres groupes de la British Invasion, pour s’y faire un nom.
Mais cela n’arrivera pas. À la place, les Pretty Things vont passer quinze jours… en Nouvelle-Zélande. Avec le recul, cette décision paraît aberrante : quelle idée d’aller se perdre dans un pays minuscule, franchement rétrograde et éloigné de tout ? D’autant que les autres têtes d’affiche de la tournée, que ce soit la gentille chanteuse pop Sandie Shaw ou l’ancienne teen idol Eden Kane, sont aux antipodes de leur univers musical. Mais peu importe : les Pretties font feu de tout bois, et ces deux semaines au pays des kiwis ont acquis une aura de légende, principalement grâce à un Viv Prince déchaîné avec sa toque en léopard sur la tête et le homard mort qu’il promène partout en laisse. Le bazar est tel qu’on en parle jusque dans les travées du vénérable Parlement néo-zélandais, mais la légende selon laquelle le groupe aurait été interdit de séjour dans le pays n’est rien d’autre que cela : une légende.
Les Pretties regagnent leurs pénates en septembre et commencent à enregistrer leur deuxième album. En tout cas, ils essaient, mais leur batteur fou ne leur facilite pas la vie : quand ses cuites monumentales ne l’empêchent pas de jouer, c’est qu’il est en garde à vue. Ses camarades finissent par le mettre dehors au mois de novembre. Il est remplacé par Skip Alan, un jeune chien fou qui a notamment joué sur les premiers albums de Donovan et qui a déjà suppléé Prince à quelques occasions. Grâce à lui, Get the Picture? est bouclé et peut sortir au mois de décembre. Les Pretties y diversifient leur palette musicale : le rhythm and blues brutal des débuts s’enrichit d’influences folk et pop, voire soul. Le même mois sort le 45 tours Midnight to Six Man. Tout le monde est persuadé qu’il va faire un carton, ce dont le groupe a bien besoin tant ses dernières galettes ont connu des ventes plutôt moyennes. Mais il n’en est rien, à la stupéfaction générale.
Malgré cela, 1966 débute sur les chapeaux de roue pour les Pretty Things. Ils tournent un court métrage promotionnel d’une quinzaine de minutes qui alterne scènes humoristiques et passages musicaux en play-back, et alimentent une nouvelle controverse avec leur single Come See Me / £.s.d. C’est bien la face B qui pose problème, avec ses paroles qui font (ou pas) l’apologie de la drogue. Mais le public semble se lasser des frasques des Pretties, et même ce parfum de scandale ne suffit pas à faire monter le 45 tours dans les hit-parades. Ces échecs répétés fragilisent le groupe, qui dispose de moins en moins de marge de manœuvre vis-à-vis de Fontana Records. C’est ainsi qu’ils se retrouvent à enregistrer une reprise d’une chanson de Ray Davies, A House in the Country, bien éloignée de leur univers musical. Le public ne s’y trompe pas et boude le disque. Plus grave, il boude aussi les concerts du groupe, qui peine à trouver des salles disposées à l’accueillir.
Pour ne rien arranger, les défections s’enchaînent. C’est d’abord Brian Pendleton qui s’en va, sans prévenir personne. Toujours discret et un peu à l’écart, le guitariste rythmique n’avait pas prévenu ses camarades de son mariage, ni de la naissance de son enfant. En manque d’argent, il décide d’abandonner la musique pour reprendre sa carrière dans les assurances, pour le plus grand soulagement de sa famille. John Stax l’imite au début de l’année 1967. Lui aussi a une famille à nourrir, et les nouvelles directions musicales prises par le groupe ne lui conviennent pas. Il finit par claquer la porte après avoir eu la mauvaise surprise de voir quelqu’un d’autre en train d’enregistrer ses lignes de basse en arrivant au studio. L’avenir des Pretty Things semble alors bien compromis.